e-1 : massification

Chaîne de valeur dans la production de biens

De manière très simplifiée, on distingue trois phases :
1. Conception
2. Production
3. Distribution

Avant (ère industrielle) : c’est la production qui représente l’essentiel du coût du produit et du temps humain passé.

Après (ère post-industrielle) : la phase production a été sur-optimisée du fait de deux facteurs :
- Le progrès des systèmes de production : mécanisation et organisation du travail
- La mondialisation (économies d’échelles, production dans des pays à bas salaires (automatisation, lean-management, délocalisations pour réduire les coûts).

Conséquences :
- Une productivité industrielle multipliée par 30 (il faut trente fois moins de temps humain pour produire une voiture ou un réfrigirateur)
- Un coût de production qui s’effondre
- Un prix moyen qui s’effondre d’autant
- Une démocratisation de l’accès aux biens industriels

La valeur est désormais essentiellement créée en amont et en aval de la production, au niveau de la conception et de la distribution.

Les nouveaux géants sont ceux qui conçoivent (Apple, Microsoft) ou qui distribuent (Wall Mart, Amazon). Certains font les deux en supprimant carrément une partie de la phase de production (Ikéa qui conçoit et qui distribue mais laisse les clients « confectionner » eux-mêmes les meubles par l’assemblage).

Un secteur qui illustre mieux que d’autres cette révolution est celui de l’industrie culturelle. Des acteurs qui avant maîtrisaient la chaîne entière (conception-fabrication-distribution) se voient priver aujourd’hui des maillons fabrication (on reproduit un film et/ou une musique en quelques secondes) et distribution (on télécharge légalement ou illégalement en quelques secondes, pas besoin d’aller au cinéma ou à la FNAC).

Chaîne de valeur des services

On distingue ici trois phases :
1. Conception
2. Distribution
3. Réalisation de la prestation

a) Ce qui distingue les services des biens c’est que la réalisation de la prestation, i.e la « production » du service se fait après sa commercialisation/distribution ; je vais chez le coiffeur pour avoir une coupe de cheveux, je transfère de l’argent après avoir ouvert un compte, je signe un contrat d’assurance pour pouvoir le faire valoir ultérieurement, je dépose ma voiture au garage pour qu’elle se fasse réparer, j’appelle le baby-sitter avant qu’il est gardé mes enfants etc.

b) La « production » de certains services ne peut pas toujours être optimisée au même degré que la production de biens dans la mesure où ils réclament un temps humain incompressible et/ou du présentiel (catégorie 1).
Exemples :
o Une heure de garde d’enfants réclament le même temps humain en 1960 qu’en 2014
o Une coupe de cheveux n’est pas plus rapide en 2014 qu’en 1960, au contraire elle est plus longue si on sophistique les techniques et qu’on ajoute des prestations
o Idem pour la réparation automobile, pour une course de taxis, une pièce de théâtre etc.

La formation professionnelle « classique » se trouve dans cette catégorie 1 : un intervenant dispense sa formation devant des apprenants, théoriquement cela demande le même temps de préparation et d’exécution de la prestation qu’en 1960.

Services présentiels (catégorie 1)
Dans le cas de ces services « présentiels » (catégorie 1), le coût et donc le prix ont suivi une courbe inverse à celle des produits industriels, car le coût moyen d’une heure de travail a augmenté plus rapidement que le PIB depuis 50 ans dans les pays développés (singulièrement en France).

Services non-présentiels (catégorie 2)
Suivant un destin contraire, certains services « non-présentiels » (catégorie 2) se sont industrialisés dans les années 70/80’s via l’informatisation et les NTIC : la machine a remplacé l’homme partout où cela était possibles/utile dans les banques, à la sécu ou à la poste, où le traitement des informations ne se fait plus à la main mais selon des process automatisés/informatisés.
Le web a permis d’aller un cran plus loin : c’est le client qui remplit lui-même les formalités administratives et les rentre dans le système : pour acheter un billet d’avion, souscrire un abonnement à un magazine, acheter un livre. Parfois c’est même lui qui réalise la prestation de A à Z, comme lorsqu’il passe un ordre de bourse. Le e-learning entre dans cette catégorie de services dès lors que le service, une fois conçu, peut-être auto-administré par un nombre infini de clients sans intervention humaine de la part du concepteur.

Services ubiquitaires (catégorie 3)
Il y a enfin le cas des services qui restent présentiels mais qui sont devenus ubiquitaires grâce au digital (catégorie 3) : c’est le cas de la surveillance de sites (les postes de contrôle informatisés ont largement remplacé les rondes) ou des prestations de veille pour aider au maintien à domicile des personnes âgées et aussi de la formation initiale et professionnelle quand elle est dispensée sous forme de MOOC ou en visio-conférence. On a alors du multi-tasking et/ ou de un gain lié à l’absence de déplacement du prestataire de service.

Ce qui caractérise la catégorie 1 des services présentiels, c’est un coût marginal élevé.
Dans la coiffure comme dans la réparation automobile, chaque prestation prend du temps humain, il n’y a pas d’économie d’échelle, si ce n’est une hypothétique courbe d’apprentissage pour le prestataire : la millième coupe prendra autant de temps que la première.
Le principe est le même pour la formation professionnelle : chaque session de formation va mobiliser x heures du formateur, va nécessiter la location ou l’immobilisation d’une salle, va demander des déplacements de la part des formés ou des formateurs. Ce coût marginal est quasi-incompressible. Du côté des personnes formées, on peut y ajouter un coût d’opportunité : une fois qu’un individu est engagé dans sa journée de formation, il ne peut pas faire « pause » et vaquer à d’autres occupations peut-être plus urgentes, son agenda est gelé et il devra organiser son travail de la semaine en fonction de cette contrainte. Il n’est pas libre d’arbitrer son temps, sauf à carrément renoncer à sa formation.

Ce qui caractérise les catégories 2 et 3 des services (non présentiels et/ou ubiquitaires), c’est au contraire un faible coût marginal.
Une fois le service conçu, le coût unitaire de distribution et de réalisation d’une prestation supplémentaire est très limité. Un MOOC, une fois qu’il est en ligne peut être aussi bien suivi par 100 que par 100 000 personnes sans que la structure de coûts n’en soient affectés, idem pour une plateforme bancaire, qui peut supporter 100 000 comme 10 millions de virements, ou encore un site de musique en streaming, etc.

Dans la plupart des cas cependant, le coût fixe initial des catégories 2 et 3 est plus important que celui de la catégorie 1. Un intervenant du MBA MCI mettra davantage de temps à structurer et concevoir un cours en ligne qu’un cours dispensé en présentiel. Une logique de masse critique (ou point mort) intervient. Il existe un niveau au-delà duquel il devient structurellement plus intéressant, sur le plan strictement économique de passer du présentiel au online.

 

Massification…

….de l’offre et de la demande

La massification est valable pour l'offre et pour la demande :
- plus d’offres de e-learning car les coûts de productions sont assez faible
- plus de demande : le prix d'accès est abordable

… du public visé par chaque formation

Exemple B2B : pour les entreprises, le on line seule façon de former des milliers voire des dizaines de milliers de personnes dans un programme commun à un coût supportable.

Exemple B2C : la Kahn Academy (enseignement surtout académique mais pas seulement) : de zéro à un million de vue en 18 mois = une vitesse de propogation jamais connue.3

… de la profondeur de contenu

"On reconnaît dans les MOOCs la fascination des grands nombres propre à la culture numérique. 1000, 10 000, 100 000… C’est ainsi qu’a été interprété le plus fréquemment le M de Massif. [...]
Mais il y a une seconde façon de comprendre le M de Massif dans MOOC, [...] ce sont les participants qui créent massivement le cours avec leurs contenus, les liens entre ces contenus, leurs interactions. Vous voyez que ce n’est pas du tout la même chose que la distribution « massive » qui nous remet tous en position de spectateurs, c’est beaucoup plus dérangeant pour le système en place et ça implique un changement radical d’attitude pour tout le monde : institutions, apprenants, enseignants." 2

 

La massification signifie-t-elle une démocratisation de la formation?

On observe que les plus diplômés sont ceux qui continuent de se former au cours de leur carrière.
Cependant il ne faut pas confondre démocratisation de l’accès au savoir et démocratisation de la formation professionnelle. En effet, on trouve toutes les connaissances sur le web notamment avec wikipedia etc. Mais aujourd’hui peu de personnes apprennent leur métier et des compétences professionnelles clés gratuitement sur le web.

"À quoi tient le prétendu « effet disruptif des MOOCs ?
Une première réponse a été donnée par les campagnes marketing qui ont accompagné la naissance des plateformes de MOOC américaines : grâce au MOOC, tout le monde aura accès au meilleur de l’éducation mondiale. On reconnait là deux des mythes fondateurs de la culture numérique : la transparence et l’accès universel.
[...]Mais c’est complètement faux. Ce n’est que du marketing,[...] qui occulte des points bien connus de tous ceux qui pratiquent la formation en ligne :
- Il ne suffit pas d’avoir matériellement accès à des ressources en ligne pour les utiliser
- Il n’existe pas de ressource éducative universelle, valable pour tous
" 2

 

Quelques problématiques complémentaires

- Si le gain économique est si spectaculaire, pourquoi les entreprises n’ont-elles pas recours à 100 % au elearning ?

- Y-a-t-il un risque mortel pour les acteurs traditionnels de la formation face à une offre plus compétitive (soit 100 % elearning soit une offre mixte on line & présentiel ?)

"Le développement de l’e-learning et des solutions de blended learning (mix présentiel / distanciel) vont continuer de modifier la chaîne de valeur des organismes de formation et rendre l’activité plus capitalistique. Alors que la menace de substitution pèsera lourdement sur la frange des formations les plus théoriques et procédurales, l’e-learning se présentera également comme une opportunité unique, pour les principaux organismes de formation, d’élever des barrières à l’entrée sur leur marché, et d’exclure des concurrents faiblement capitalisés"1

- Après la prolifération de l’offre, va-t-on assister à un mouvement de concentration /structuration du secteur ? pourquoi ce mouvement ne s’est-il pas encore produit ?

- Certification et création de normes/ diplômes e-learning.

Est-ce l’avenir pour le secteur, le seul moyen d’avoir une crédibilité et une valeur professionnelle égale à celle des diplômes initiaux ? exemple du certificat Voltaire = vraie valeur à le mettre sur le CV car commence à avoir une reconnaissance.

 


Sources :
(1) Les organismes de formation privés - Stratégies et mutations à l’horizon 2015  - PRECEPTA Consult - 2009
(2) Présentation de Christine Vaufrey réalisée lors du colloque du REFAD à Montréal, le 30 mai 2014: FAD : vers des apprentissages massivement personnalisés
(3) Article de Jolpress présentant la Kahn Academy